A la soupe !
La veinarde que je suis vient de terminer deux best-soupières : La Liste de mes envies de Grégoire Delacourt, l’un des gros succès de l’année qui s’achève et Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom, un roman de Barbara Constantine qui s’est hissé dans le top 5 des ventes en 2010. Loin de moi l’idée de cracher dans la soupe ou de jouer les pimbêches bobos du XVIIIe, j’aime les romans populaires. Gare à l’expression « romans de gare », tous les best-sellers ne sont pas mauvais. Ils méritent même parfois d’être traités avec égard tant ils savent nous embarquer dans de gracieux voyages. J’avais trouvé brillant L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery en 2006. Je m’étais laissée emporter avec délectation par Les Déferlantes de Claudie Gallay en 2008. Du reste, Les Misérables ou Germinal ne sont-ils pas des romans populaires ? J’ai donc ouvert La Liste de mes envies et Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom sans arrière-pensées.
La Liste de mes envies narre les péripéties de Jocelyne, dite Jo, mercière à Arras. Cette femme d’âge mûr pose un regard tendre sur son existence. Elle se rêvait styliste mais a réussi à acheter un petit commerce, dont elle est finalement pas peu fière, et écrit un blog de dentellière à succès. Elle attendait le prince charmant mais c’est Jocelyn, dit Jo, qui s’est présenté et, malgré les épreuves, leur couple a trouvé une certaine stabilité. Ils ont eu deux enfants, en ont perdu un, mais le temps, l’amour et la patiente ont effacé les blessures. Jusqu’au jour où Jocelyne, qui ne jouait pourtant jamais au loto, se laisse convaincre par ses copines et gagne 18 millions d’euros. Débute alors l’écriture puis la réécriture de la liste de ses envies.
Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom est l’histoire de Tom, garçonnet de onze ans plus ou moins livré à lui-même. Il vit dans un vieux mobil-home avec Joss, sa très jeune mère. Celle-ci aime particulièrement les sorties, les garçons et prendre du bon temps avec ses copains. Comme Tom se retrouve régulièrement seul, il doit faire preuve d’ingéniosité pour manger et visite souvent les potagers de ses voisins. Un soir, en cherchant un nouveau jardin où faire ses courses, Tom rencontre Madeleine, veille dame de quatre-vingt-treize ans. Esseulée et larmoyante, elle est couchée au milieu de ses choux et ne parvient pas à se relever. C’est alors que commence une belle amitié transgénérationnelle.
Pour commettre une bonne soupe de lettres, certains ingrédients se démarquent nettement. Je vais tenter, à l’instar de Grégoire Delacourt, d’en faire ici la liste :
- une casserole percée ;
- un nuage de laids ;
- une impérissable banane ;
- une bonne dose de sentiments ;
- des rêves un peu nounouilles ;
- un fil blanc.
Pour cuire des mots comme autant de maux au cœur des amateurs de belles lettres, une marmite mitée est l’équipement indispensable. C’est dans les vieux pots que l’on écrit les plus belles soupes ! Faites donc bouillir votre b(r)ouillon dans un contexte social peu favorisé. Dans La Liste de mes envies, le faitout prend la forme d’une mercerie à Arras. Prenez donc un commerce en déperdition et ajoutez-y le chef-lieu du Pas-de-Calais, vous obtiendrez un cadre auquel la France entière rêve ! De son côté, en plus de grandir dans un mobil-home, Tom est flanqué d’une mère fuyante et peu attentionnée. La France d’en bas semble, dans ces récits, le cadre favorable à l’épanouissement d’un délicieux consommé.
Pour faire un beau potage de mots, il vous faut aussi de vrais héros. Evidement en ce XXIe siècle, le super-héros s’est cassé la binette. Mais le sourire inaltérable est toujours de mise et, si cette banane persiste après avoir accablé le héros de tous les ennuis, vous obtiendrez la bienveillance et la tendresse du lecteur. Jocelyne a perdu sa mère et l’un de ses enfants, son père est malade, son mari fut violent, ses enfants sont distants mais elle a fini par accepter et par aimer sa vie. Elle sait tricoter de petits bonheurs simples. Tom n’a pas de papa, une mère démissionnaire et vit dans un mobil-home mais il parvient à avoir de bonnes notes à l’école et à sourire à la vie.
Pour être crédible, on trouvera à ces héros quelques défauts. Versez donc un nuage de laids. Ainsi, Jocelyne n’a pas la taille fine et Tom est un petit homme haut comme trois pommes. Jocelyn préférerait un mannequin et les camarades de Tom se moquent de sa petite taille. Oh… pauvres héros ! D’emblée, s’ils ne sont pas très beaux (comme nous, vilains lecteurs), ils nous semblent sympathiques. La littérature : dernier territoire de liberté où les laids ont encore le droit de cité ! Depuis que Stephane Heissel a ouvert la porte, les best-sellers ont le droit et même le devoir de s’indigner. A bas la société des apparences, vive les laids !
Souriants et laids ok, mais pas soupe au lait ! Car nos protagonistes sont gentils, bien gentils. Dressez les mots amour, patience et persévérance au firmament de leur existence et vous obtiendrez de beaux sanglots tout chauds. Jocelyne s’est jadis faite frappée par Jocelyn mais elle n’est pas partie car elle a compris qu’il était malheureux. Quant à Tom, malgré tous ses soucis, il prend la peine de s’occuper de Madeleine, une mémé qu’il méconnait, juste parce qu’il est gentil, bien gentil. Ces souplettes ne sauraient être complètes sans cette vision simplette du genre humain. La mauvaise fortune les accule mais la mauvaise volonté et la mauvaise foi, les héros connaissent pas. Les méchants c’est pas eux. Comme chez Disney, les malintentionnés finissent toujours par être punis et les gentils par s’en sortir. Ainsi Jocelyn, le mari voleur de Jocelyne, termine sa vie vieux, moche et alcoolique tandis que Jocelyne file le parfait amour. Idem pour Tom pour qui tout finit par rentrer dans l’ordre.
Après avoir arrosé votre mixture de tous ces bons sentiments, assaisonnez-la de rêves sans prétention. Dix-huit millions en poche, Jocelyne rêve de s’acheter : une lampe pour la table d’entrée, un portemanteau perroquet, deux poêles Téfal, un nouveau micro-ondes, un presse-légumes, des torchons, une centrale vapeur, une pince à épiler… Au fil du récit, elle fait et refait cette liste mais l’idée de voyager, de courir le monde ou de faire des folies ne l’effleure pas une fois. Jocelyne a le bonheur simple et neuneu comme les articles qu’elle vend dans sa mercerie. Tom est, pour sa part, un gamin de onze ans quasiment dépourvu de rêve et de jeu. Seule la bienveillance de son entourage semble aiguayer son quotidien. La pauvreté serait-elle une purge d’aspiration ? A onze ans, j’en doute un peu. Peut-être que Barbara Constantine a omis ce détail… Les désirs de nos deux protagonistes sont donc un peu étriqués pour ne pas dire nounouilles. Pour aller à la soupe, les auteurs épluchent le mot bonheur en tous sens. Bonheurs rase-motte et formatés mijotent à leur aise au fond de leur soupière.
Pour finir, un fil blanc sera nécessaire pour assembler ce beau bouquet garni. Point de métaphore filée ou d’une quelconque forme de poésie. Point de vocabulaire ou d’inspiration littéraire. Aucune envolée lyrique ne doit venir émulsionner la platitude du récit. Munissez-vous uniquement d’un fil blanc et cousez l’intrigue à la façon d’une couturière filant son ouvrage. Ainsi, dès son entrée en scène, on se doute que Samy est le papa de Tom. De même, qui n’a pas déjà dressé à plusieurs reprises la liste de ses envies s’il gagnait plusieurs millions d’euros. Rien ne nous étonne vraiment. Les événements décrits se devinent aisément à l’avance, de sorte à ce que le lecteur ne soit jamais mis en danger. Ne doutant pas un instant de son intelligence et de sa perspicacité, il se roule en boule et se complait dans le confort douillet de ses pensées les plus molles.
Pour faire une bonne souplette de lettres, vous l’aurez compris, une cocotte cabossée, deux héros prétendument attach(i)ants et un fil blanc sont essentiels. Faire recette avec des lettres paraît donc évident et les marchands de soupes auraient tord de s’en priver. Mais nous, buveurs de bons mots, pourquoi choisir ces soupes à la grimace instantanée ? Ces potages sont de vrais veloutés, on aime leur douceur et ils s’avalent d’un trait. On dirait un pot de Nutella ou un épisode de L’Amour est dans le pré. C’est bon, c’est rassurant, mais franchement, on s’y ennuie, on n’en sort pas grandi et l’on reste sur sa faim.
Allez, promis, s’en est fini des vilaines décoctions, la prochaine fois j’ouvre un grand cru ! Me croyez-vous ?