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Déclic délices
9 décembre 2012

A la soupe !

La veinarde que je suis vient de terminer deux best-soupières : La Liste de mes envies de Grégoire Delacourt, l’un des gros succès de l’année qui s’achève et Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom, un roman de Barbara Constantine qui s’est hissé dans le top 5 des ventes en 2010. Loin de moi l’idée de cracher dans la soupe ou de jouer les pimbêches bobos du XVIIIe, j’aime les romans populaires. Gare à l’expression « romans de gare », tous les best-sellers ne sont pas mauvais. Ils méritent même parfois d’être traités avec égard tant ils savent nous embarquer dans de gracieux voyages. J’avais trouvé brillant L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery en 2006. Je m’étais laissée emporter avec délectation par Les Déferlantes de Claudie Gallay en 2008. Du reste, Les Misérables ou Germinal ne sont-ils pas des romans populaires ? J’ai donc ouvert La Liste de mes envies et Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom sans arrière-pensées.

La Liste de mes enviesTom petit Tom tout petit homme Tom

La Liste de mes envies narre les péripéties de Jocelyne, dite Jo, mercière à Arras. Cette femme d’âge mûr pose un regard tendre sur son existence. Elle se rêvait styliste mais a réussi à acheter un petit commerce, dont elle est finalement pas peu fière, et écrit un blog de dentellière à succès. Elle attendait le prince charmant mais c’est Jocelyn, dit Jo, qui s’est présenté et, malgré les épreuves, leur couple a trouvé une certaine stabilité. Ils ont eu deux enfants, en ont perdu un, mais le temps, l’amour et la patiente ont effacé les blessures. Jusqu’au jour où Jocelyne, qui ne jouait pourtant jamais au loto, se laisse convaincre par ses copines et gagne 18 millions d’euros. Débute alors l’écriture puis la réécriture de la liste de ses envies.

Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom est l’histoire de Tom, garçonnet de onze ans plus ou moins livré à lui-même. Il vit dans un vieux mobil-home avec Joss, sa très jeune mère. Celle-ci aime particulièrement les sorties, les garçons et prendre du bon temps avec ses copains. Comme Tom se retrouve régulièrement seul, il doit faire preuve d’ingéniosité pour manger et visite souvent les potagers de ses voisins. Un soir, en cherchant un nouveau jardin où faire ses courses, Tom rencontre Madeleine, veille dame de quatre-vingt-treize ans. Esseulée et larmoyante, elle est couchée au milieu de ses choux et ne parvient pas à se relever. C’est alors que commence une belle amitié transgénérationnelle.

Pour commettre une bonne soupe de lettres, certains ingrédients se démarquent nettement. Je vais tenter, à l’instar de Grégoire Delacourt, d’en faire ici la liste :
- une casserole percée ;
- un nuage de laids ;
- une impérissable banane ;
- une bonne dose de sentiments ;
- des rêves un peu nounouilles ;
- un fil blanc.

Pour cuire des mots comme autant de maux au cœur des amateurs de belles lettres, une marmite mitée est l’équipement indispensable. C’est dans les vieux pots que l’on écrit les plus belles soupes ! Faites donc bouillir votre b(r)ouillon dans un contexte social peu favorisé. Dans La Liste de mes envies, le faitout prend la forme d’une mercerie à Arras. Prenez donc un commerce en déperdition et ajoutez-y le chef-lieu du Pas-de-Calais, vous obtiendrez un cadre auquel la France entière rêve ! De son côté, en plus de grandir dans un mobil-home, Tom est flanqué d’une mère fuyante et peu attentionnée. La France d’en bas semble, dans ces récits, le cadre favorable à l’épanouissement d’un délicieux consommé.

 Soupière en croute          soupe-aux-lettres

Pour faire un beau potage de mots, il vous faut aussi de vrais héros. Evidement en ce XXIe siècle, le super-héros s’est cassé la binette. Mais le sourire inaltérable est toujours de mise et, si cette banane persiste après avoir accablé le héros de tous les ennuis, vous obtiendrez la bienveillance et la tendresse du lecteur. Jocelyne a perdu sa mère et l’un de ses enfants, son père est malade, son mari fut violent, ses enfants sont distants mais elle a fini par accepter et par aimer sa vie. Elle sait tricoter de petits bonheurs simples. Tom n’a pas de papa, une mère démissionnaire et vit dans un mobil-home mais il parvient à avoir de bonnes notes à l’école et à sourire à la vie. 

Pour être crédible, on trouvera à ces héros quelques défauts. Versez donc un nuage de laids. Ainsi, Jocelyne n’a pas la taille fine et Tom est un petit homme haut comme trois pommes. Jocelyn préférerait un mannequin et les camarades de Tom se moquent de sa petite taille. Oh… pauvres héros ! D’emblée, s’ils ne sont pas très beaux (comme nous, vilains lecteurs), ils nous semblent sympathiques. La littérature : dernier territoire de liberté où les laids ont encore le droit de cité ! Depuis que Stephane Heissel a ouvert la porte, les best-sellers ont le droit et même le devoir de s’indigner. A bas la société des apparences, vive les laids ! 

Souriants et laids ok, mais pas soupe au lait ! Car nos protagonistes sont gentils, bien gentils. Dressez les mots amour, patience et persévérance au firmament de leur existence et vous obtiendrez de beaux sanglots tout chauds. Jocelyne s’est jadis faite frappée par Jocelyn mais elle n’est pas partie car elle a compris qu’il était malheureux. Quant à Tom, malgré tous ses soucis, il prend la peine de s’occuper de Madeleine, une mémé qu’il méconnait, juste parce qu’il est gentil, bien gentil. Ces souplettes ne sauraient être complètes sans cette vision simplette du genre humain. La mauvaise fortune les accule mais la mauvaise volonté et la mauvaise foi, les héros connaissent pas. Les méchants c’est pas eux. Comme chez Disney, les malintentionnés finissent toujours par être punis et les gentils par s’en sortir. Ainsi Jocelyn, le mari voleur de Jocelyne, termine sa vie vieux, moche et alcoolique tandis que Jocelyne file le parfait amour. Idem pour Tom pour qui tout finit par rentrer dans l’ordre.

bol blanc 2       soupière       bol blanc 2

Après avoir arrosé votre mixture de tous ces bons sentiments, assaisonnez-la de rêves sans prétention. Dix-huit millions en poche, Jocelyne rêve de s’acheter : une lampe pour la table d’entrée, un portemanteau perroquet, deux poêles Téfal, un nouveau micro-ondes, un presse-légumes, des torchons, une centrale vapeur, une pince à épiler… Au fil du récit, elle fait et refait cette liste mais l’idée de voyager, de courir le monde ou de faire des folies ne l’effleure pas une fois. Jocelyne a le bonheur simple et neuneu comme les articles qu’elle vend dans sa mercerie. Tom est, pour sa part, un gamin de onze ans quasiment dépourvu de rêve et de jeu. Seule la bienveillance de son entourage semble aiguayer son quotidien. La pauvreté serait-elle une purge d’aspiration ? A onze ans, j’en doute un peu. Peut-être que Barbara Constantine a omis ce détail… Les désirs de nos deux protagonistes sont donc un peu étriqués pour ne pas dire nounouilles. Pour aller à la soupe, les auteurs épluchent le mot bonheur en tous sens. Bonheurs rase-motte et formatés mijotent à leur aise au fond de leur soupière.

Pour finir, un fil blanc sera nécessaire pour assembler ce beau bouquet garni. Point de métaphore filée ou d’une quelconque forme de poésie. Point de vocabulaire ou d’inspiration littéraire. Aucune envolée lyrique ne doit venir émulsionner la platitude du récit. Munissez-vous uniquement d’un fil blanc et cousez l’intrigue à la façon d’une couturière filant son ouvrage. Ainsi, dès son entrée en scène, on se doute que Samy est le papa de Tom. De même, qui n’a pas déjà dressé à plusieurs reprises la liste de ses envies s’il gagnait plusieurs millions d’euros. Rien ne nous étonne vraiment. Les événements décrits se devinent aisément à l’avance, de sorte à ce que le lecteur ne soit jamais mis en danger. Ne doutant pas un instant de son intelligence et de sa perspicacité, il se roule en boule et se complait dans le confort douillet de ses pensées les plus molles.

Pour faire une bonne souplette de lettres, vous l’aurez compris, une cocotte cabossée, deux héros prétendument attach(i)ants et un fil blanc sont essentiels. Faire recette avec des lettres paraît donc évident et les marchands de soupes auraient tord de s’en priver. Mais nous, buveurs de bons mots, pourquoi choisir ces soupes à la grimace instantanée ? Ces potages sont de vrais veloutés, on aime leur douceur et ils s’avalent d’un trait. On dirait un pot de Nutella ou un épisode de L’Amour est dans le pré. C’est bon, c’est rassurant, mais franchement, on s’y ennuie, on n’en sort pas grandi et l’on reste sur sa faim.

Allez, promis, s’en est fini des vilaines décoctions, la prochaine fois j’ouvre un grand cru ! Me croyez-vous ?

bol-de-soupe-en-bouillon         soupe sourire

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23 novembre 2012

J'ai un scoop !

Affiche Le Scoop    Equipe pièce le scoop

Eminent reporter de guerre à la retraite, Pierre Merlin-Pontet vit cloîtré dans son appartement bourgeois du VIe arrondissement de Paris. Souhaitant occuper son mari et prouver au public que le pouvoir d’indignation de ce dernier demeure intact, Claire accepte qu’un jeune journaliste vienne l’interviewer dans le cadre d’une émission de télévision intitulée « Les Grands témoins du XXe siècle ». Or, il s’avère que c’est Jean-Claude Dupire, un vieil ennemi de Pierre, qui commande ces entretiens. Quelle motivation réelle guide sa démarche ?

Dans cet imbroglio où tel est pris qui croyait prendre, trois générations et trois styles de journalistes se côtoient. De coups d’éclat en retournements de situation, c’est toute une profession qui se dessine sous les traits de l’arriviste, du jaloux, du glaneur invétéré de scoop, de l’idéaliste… La forme est légère et enlevée, le ton badin, mais sous ses airs de comédie, Scoop pointe du doigt les difficultés d’un métier où la recherche de vérité le dispute souvent à la quête d’exclusivité. Et si la déontologie est brandie en étendard par certains ou piétinée par d’autres, les intérêts personnels entrent inévitablement en jeu.

Les caractères sont brossés avec justesse. Mention spéciale pour Philippe Magnan dont le personnage bourru, railleur et cynique est parfaitement campé. Le décor en triptyque est à la fois élégant et efficace. L’écriture et la mise en scène de Marc Fayet morcellent l’intrigue en courts tableaux qui insufflent un rythme haletant et chevillent le suspense jusqu’au coup de théâtre final. Bref, j’ai un scoop : courez voir Scoop qui se joue en ce moment au théâtre Tristan Bernard à Paris ! Vous passerez une soirée à la fois divertissante et piquante.

Interview de Pierre Merlin-Pontet 2    Interview de Pierre Merlin-Pontet

17 novembre 2012

Une librairie à croquer !

Depuis que j’ai installé ma vie ici, je ne cesse de me répéter cette phrase de Jules Renard « Ajoutez deux lettres à Paris : c’est le paradis. » Outre ses musées, boutiques, monuments et autres piments urbains, Paris regorge de librairies des plus charmantes. Contrairement à bien d’autres « objets de consommation courante » (j'ose !), le livre français a la chance d’avoir un prix fixe que vous l’achetiez ici ou là. Il ne faut donc pas se priver de dévorer du papier dans des endroits douillets et feutrés. Je n’ai pas encore fait le tour complet des librairies de la capitale, loin s’en faut, mais il me semble que l’on peut les identifier comme suit : les mastodontes, les mythiques, les fourre-tout, les thématiques.

Librairie     Librairie intérieur

En guise d’allégorie de leur tout puissance, deux géants s’affrontent à fleurets mouchetés de part et d’autre de l’avenue des Champs-Elysées, la Fnac et Virgin. On y trouve un fonds copieux ce qui est fort pratique quand on est pressé. En revanche, le conseil est quasi nul donc peu de différences existent entre ces colosses et les librairies digitales dont les portes s’ouvrent d’un clic. Dans cette ville littéraire par essence, il y a aussi des librairies légendaires comme La Hune. Installée à deux pas de l’église Saint-Germain-des-Prés, ce lieu incontournable fait partie de l'histoire du quartier. Plane ici l’ombre des intellectuels qui y avaient leurs habitudes – Sartre, Beauvoir, Camus, Queneau, pour ne citer qu’eux. Il n'est pas rare d’y croiser encore écrivains, comédiens ou artistes connus. A côté de ce type de « monuments littéraires » résiste également une cohorte de librairies généralistes et indépendantes. A deux de pas de chez moi, rue de la Jonquière dans le XVIIe arrondissement, L’Usage du monde propose une sélection de beaux livres, livres de poche, littérature adulte ou jeunesse et quelques essais. L’espace intime est propice aux découvertes et aux divagations oniriques… Les libraires sont attentifs et épris de belles lettres.

L'usage du monde

Enfin, nombre de libraires ont eu l’idée de se spécialiser afin de sauver leur peau. S’adresser aux professionnels et aux passionnés semble une excellente réponse à la concurrence du web et un remède à la crise dont le livre est le book émissaire. Le Genre urbain à Belleville se développe autour du thème de la ville : urbanisme, architecture, sociologie, histoire, géographie, développement durable... Une sélection propre à informer le lecteur sur les « évolutions urbaines contemporaines ». Un endroit sympathique où l’on se sent bien. La librairie du Centre Pompidou est absolument bondée mais propose tant de références intéressantes en matière d’art contemporain qu’il serait dommage de s’en passer. Je ne les ai pas toutes parcourues mais visiblement il en existe aussi pour les fashions victims (Librairie de la Mode dans le Ier), les cinéphiles (Ciné Reflet, VIe), les musiciens (Librairie Parallèles, Ier), les amoureux de la grande bleue (Librairie de la mer,XVe), les semelles de vent (Librairie Voyageurs du monde dans le IIe)… Et s’il y en a pour tous les goûts, il y en a forcément aussi pour les gastronomes que nous sommes ! Allons faire un petit tour du côté de la librairie gourmande, 92-96 rue de Montmartre, dans le IIe arrondissement.

 Librairie gourmande     Librairie gourmande logo

L’entrée ne paye pas de mine. De prime abord, les libraires sont un tantinet distantes et bavardent entre elles sans retenue. Mais leurs conseils s’avèrent finalement pertinents et efficaces. Quant à l’espace, je m’attendais à un gracieux écrin où auraient été regroupés des ouvrages triés sur le volet. Que nenni, la vocation de ce lieu est plutôt d’être exhaustif et finalement ce n’est pas plus mal. Livres rares, anciens ou récents et revues spécialisées sont compilés. Les populaires Marabout ou Hachette pratique côtoient les ambitieux Agnès Vienot et Apicius. La sélection n’est pas sectaire. L’ensemble est classé par rubriques : arts de la table, livres de chefs, cuisine générale, cuisine régionale, cuisine du monde, boulangerie et pâtisserie, œnologie, bières, vins et cocktails...  Des cupcakes à la cuisine moléculaire, en passant par la gastronomie scandinave ou végétarienne, on trouve ici tout ce que l’on cherche et bien plus encore. Car contrairement aux librairies numériques, la vocation d’une librairie telle que celle-ci est de nous faire découvrir de nouvelles choses et d’ouvrir nos perspectives gourmandes.

J’ai pour ma part craqué pour Le vrai goût du Japon de Emmanuelle Jary et Jean-François Mallet aux éditions Aubanel. Cette traversée du Japon est un régal pour les yeux tant les photos sont belles : portraits in situ de spécialistes ou de grands chefs, gros plans sur d’alléchantes nourritures, scènes de rituels autour de la prise des repas… Nous suivons les découvertes de nos auteurs-voyageurs pas à pas de Kobe à Tokyo en passant par Kyoto ou Kanazawa dans les Alpes japonaises. Le texte alterne intelligemment récit de cette exotique immersion et recettes. Et c’est toute la culture nippone qui est décrite à travers le prisme de l’assiette. Les mets en deviennent l’incarnation charnelle et nous disent beaucoup sur ce peuple aux traditions fascinantes. Car le vrai goût du Japon ce n’est pas seulement celui des sushis et des yakitoris !  

Le vrai goût du Japon

Vous l’aurez donc compris, à la Librairie gourmande les collectionneurs de recettes en prendront plein les mirettes ! Car des livres aux lèvres, il n’y a qu’un pas. Mais mon périple cu-LIT-naire ne s’arrête pas là. Je compte prochainement jeter mon ancre à la Cocotte dans le XIe. En plus de livres, cette autre librairie du goût propose une sélection d’objets pour la cuisine, un salon de thé et des ateliers pratiques. Et si cette balade en vaut le coup, je jetterais bientôt mon encre ici !

9 novembre 2012

Une métamorphose qui tourne mal

Pourquoi parler d’un livre qui ne m’a pas enthousiasmée plus que ça ? Pourquoi ne pas réserver cet espace digital aux pépites et aux coups de cœur ? Large débat… Mais je dirais que la lecture, comme le fil de la vie, est parfois inci- ou accidentée. Il y a, dans l’espace intime tissé entre elle et nous, des sommets, des vallons, des espoirs, des déceptions, des surprises. Je ne suis pas là pour abattre un livre ou un auteur mais pour évoquer un moment de lecture. Mon jugement ne demande qu’à être contrarié !

Je viens donc aujourd’hui partager mon point de vue sur Métamorphose en bord de ciel de Mathias Malzieu. Si cela vous a échappé, cet auteur mène parallèlement une carrière de musicien ; il est l’emblématique leader du groupe de rock acidulé Dionysos. Romans et disques n’ont de cesse de se répondre. Cette alchimie s’illustre à travers les romans Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi (sorti en 2005), dont l’écho musical est Monsters in love, et La Mécanique du cœur (sorti en 2007) dont la bande son est éponyme. Le rock de Métamorphose en bord de ciel a été pressé sur la galette Bird’N’roll en mars 2012, un an après l’édition du roman.

 Mathias Malzieu     Dionysos

Mathias Malzieu sait écrire des histoires et des chansons qu’on aime. M&M’s en croute de mots, on croque dedans à pleines dents comme de grands enfants. L’enrobage est sucré mais l’intérieur sombre et velouté. De ces récits émane un univers fragile, sidéral et invariablement inadapté à la modernité. Féériques, oniriques, rythmiques, ces contes savent jouer une petite musique atypique propre à séduire un triptyque de sceptiques. Et susceptibles, en outre, de tirer tour à tour chez le lecteur la corde sensible, curieuse ou comique. Grâce à une imagination débordante, Malzieu sait accorder de bouillonnants moments de poésie. La pudeur et la tendresse de ce lyrisme sont les instruments d’une grâce céleste.

Mais quid de son dernier opus littéraire Métamorphose en bord de ciel ? A première vue, le packaging est soigné et ne déroge pas à la règle appliquée aux précédents titres : première de couverture rouge et noire à la Tim Burton agrémentée d’un titre prometteur. « Métamorphose » et « bord du ciel » sont deux espaces qui ouvrent instantanément les perspectives du rêve et dont l’association porte vers le merveilleux. C’est donc le cœur rempli de confiance et d’espérance que j’entame ce nouvel ouvrage.

  Métamorphose en bord de ciel     Bird'N'Roll

Mâles et mal dans leur peau, tous les (anti)héros de ce zicos le sont : Mathias (Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi), Jack (La Mécanique du cœur) et ici Tom Hématome Cloudman, le plus mauvais cascadeur du monde. Ses performances de voltige involontairement comiques lui valent la gloire auprès du public quand lui nourrit quotidiennement le rêve de voler. « Mâle » caractérise aussi le style de Malzieu. De cette foisonnante éjaculation littéraire surgit un verbe intense, immense, dense. Et dansent trouvailles, affiliations, inventions de mots et de maux. Un médecin soignant Tom Cloudman pour une énième fracture décèle chez lui une maladie incurable. L’ombre planante de la mort est le motif que Malzieu tente éternellement de dompter par le prisme de l’écriture et qu’il finit par ériger en leitmotiv.

Mais aujourd’hui Malzieu nous fait mal. Si j’osais, je dirais qu’il ne nous éblouit plus mais nous fait mal aux yeux (et j’ose !). Du paradis sorcier qu’il savait bricoler, nulle féérie ne se créée. La petite baguette qui orchestrait ses mélodies fantasmatiques n’est plus magique. Alors que son héros rêve de voler pour se soigner, Malzieu a la plume malade. Ses néologismes n’ont plus l’audace et la vivacité qu’on leurs connaissait. Idem pour les métaphores ; elles ont perdu de leur croustillant et de leur profondeur. Certaines images sont redondantes, gratuites et mécaniques au lieu d’être complémentaires et subtiles. La ronde des différents registres sur lesquels joue Malzieu est boiteuse. A l’instar du protagoniste Tom Cloudman, les figures ont perdu leur style et tombent immuablement à plat. La noirceur cosmique de jadis a été remplacée par la fadeur des paysages, des personnages et des situations.

Bref, Mathias Malzieu lui aussi s’est métamorphosé. Espérons que cet état ne soit que temporaire et qu’il planera très bientôt vers les cieux lumineux dont sa plume est capable de l’emmener. Si la petite musique astrale de Métamorphose en bord de ciel n’agit pas et que sa force évocatrice s’est ici évanouie, je vous conseille néanmoins de vous plonger dans les précédents titres de l’artiste. L’exubérant et facétieux Malzieu saura vous séduire à coup sûr car il y est sincère.

La Betterave dans la tête    Endorphine 2    Endorphine

23 octobre 2012

La Moustache, roman un poil rasoir d’Emmanuel Carrère

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Marc et Agnès forment un couple banal. Lui, architecte dans un cabinet qu’il codirige. Elle, attachée de presse aux éditions Belin. Ils vivent à Paris dans l’amour, la tendresse et le confort d’une vie sans heurt. Un jour, pensant étonner sa femme et son entourage, Marc rase la moustache qu’il porte depuis dix ans. Cet acte, a priori anodin, est l’élément central du roman.

Lorsque Marc sort de la salle de bains, Agnès fait mine de ne pas remarquer cette transformation. Lors du dîner qui s’en suit chez leurs amis, Serge et Véronique, personne ne commente ce geste. Le lendemain, ses collègues de travail ne paraissent pas plus intéressés par ce changement de physionomie. Ou tout du moins, personne ne prend la peine d’émettre un commentaire.

Marc pense d’abord à une vaste blague montée par Agnès dans la complicité de tous. Oscillant entre l’incompréhension, la surprise et la vexation, il abandonne la piste du gag pour celle de l’hallucination, voire de la dépression. Mais de qui ? De sa femme sûrement… Ou de lui, peut-être.

Marc échafaude tout un tas de stratégies pour vérifier avoir jadis bien eu une moustache mais aucune ne semble donner de réponse fiable. Agnès pousse le vice ou la folie — telle est la question — jusqu’à nier le souvenir de vacances récentes à Java. Serge et Véronique n’ont jamais existé non plus. Et le père de Marc, qu’il croyait en vie, est décédé il y a plusieurs mois. La réalité se brouille dangereusement.

L’hypothèse du complot surgit alors dans l’esprit de Marc. Les ficelles de cette intrigue ne sont ni celles d’une plaisanterie, ni celles de l’aliénation mais celles de la perversité d’Agnès. Elle a bâti ce plan diabolique pour vivre paisiblement son histoire d’amour avec Jérôme, l’associé de Marc. Pris de panique et immensément fatigué par cette épopée insensée, Marc prend un avion pour Hong-Kong. Réalisant sur place sa fragilité, il imagine désormais vivre reclus au bout du monde. La question qui cristallise le récit reste en suspens.      

              Moustaches          Moustaches         Moustaches

Le roman explore avec brio les tréfonds de l’âme humaine et la quête de soi. On suit minutieusement le raisonnement et les hypothèses de tout poil qu’édifie tour à tour le héros. Adhérant à l’une puis à l’autre explication, toute vraisemblance semble nous échapper nous aussi. Cette quête de sens se transforme en ballotement incessant.

Les théories croisées, bien qu’extrêmement justes et psychologiquement pertinentes, sont parfois redondantes, lassantes et finissent par nous barber passablement. L’envie de couper court nous effleure nous aussi. Après tout, si notre héros a eu ou non une moustache nous importe peu. Que ses bacchantes, glorieuses ou autres poils d’ornement aillent au diable !

C’est la perspective du dénouement qui nous incite à poursuivre notre lecture et nous maintient en haleine. Comment Emmanuel Carrère va-t-il réussir à se tirer de ce pétrin et quelle issue trouvera-t-il à son héros ? Pour conclure, l’auteur s’en sort par une pirouette. Il nous renvoie à notre propre folie en nous faisant reconsidérer l’ensemble du récit. Ai-je bien compris ? Ne perdrais-je pas la tête moi aussi ? Mais cette stratégie, en définitive assez banale, ne justifie pas la description infinie des errements de notre héros.

L’enjeu véritable de la folie n’est pas assez prégnant et cette porte de secours se révèle finalement un procédé factice dont le lecteur n’est pas dupe. Je suis donc assez perplexe à l’issue de cette lecture. Peut-être que le visionnage du film éponyme, réalisé par Emmanuel Carrère lui-même, m’éclairera sur ses intentions… Et que le formidable Vincent Lindon me passionnera davantage.

Film - La moustache

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9 octobre 2012

Vertigiseuses Falaises d’Olivier Adam

olivier-adam

Falaises c'est de là qu'Olivier Adam précipite la mère du narrateur. Ce chaos aimante trois autres personnages au cours du récit. Sombre tableau de prime abord. Non. Une lumineuse ode à la vie en vérité.

Falaises c'est avant tout le bord du précipice. Cet endroit que les géomorphologues ont oublié de nommer et qui s'avère être ici le camp des vivants ou plutôt celui de la vie qu'il reste quand tout le monde tombe. Si beaucoup choisissent de franchir l'escarpement, Olivier Adam pose en filigrane la question de la résistance. Pourquoi choisir la vie quand tout s'effondre ? C'est par petites touches qu'il répond à cette énigme.

L'image d'un clair-obscur oscillant sans cesse entre le pire et le meilleur apparaît d'abord.

D'un côté, la mort, le goût âcre du sang qui persiste longtemps en bouche après, la violence qui s'immisce insidieusement dans le comportement des (sur)vivants, la danse indécente des fantômes, le décor monotone et monochrome des banlieues. Ces morts nous écœurent et, pour combler le vide, notre héros se noie un temps dans l'alcool.

De l'autre côté, s'anime une cohorte de jolies choses, des fragments de lumière de plus en plus présents et intenses. Le sel de la vie, qu'Olivier Adam décrit ici, ce sont les innombrables détails qui composent la beauté du monde : les hésitations pudiques de certains, la fraternité par-delà les différences et les distances, le temps qui passe et qui efface quelques aigreurs, les paysages infinis de bord de mer. La tension dramatique qui électrise le récit rend chacun de ces éléments primordiaux et insuffle un lyrisme délicat.

Finalement, la violence incarnée dans les rapports sexuels, les relations père-fils ou les disparitions brutales est transcendée par des instants de bonheur simple ou de contemplation, la possibilité de se construire une existence propre et les valeurs de fidélité et de sincérité qui naissent au fil des pages et maintiennent notre héros hors des flots. Son avenir s'illumine grâce à l'entrée en scène de Claire, figure maternelle enfin retrouvée, avec qui tout semble possible.

Bébé Chloé née, la boucle est bouclée, la vie reprend sens. Les falaises d'Etretat se muent en décor de vacances. Tandis que la mer se déchaîne et emporte les corps au loin, le soleil pointe enfin à travers les nuages. 

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1 octobre 2012

JB Poquelin à la sauce destroy

Que les intégros-bobos-intellos passent leur chemin.

Devant Full Métal Molière, on rit de bon cœur et sans faire fonctionner un seul de ses neurones. Les puristes n’ont pas leur place au Point Virgule ce soir (et ça tombe bien vu la taille du théâtre). Ça pétarade, ça se chamaille, et dieu que c’est bon de rire aussi spontanément !

D’emblée nous sommes pris en otage par deux comédiens. Lampes torches, cafouillages, bric-à-brac… On y croirait presque ! Leur nullité leur interdit d’être programmés où que ce soit ou de percer dans le milieu du show-biz. C’est pourquoi ces deux artistes ratés baignent les loges du sang de la troupe venue initialement jouer pour nous ce soir et s’emparent de la scène. Si les spectateurs ne viennent pas à eux, ils viennent aux spectateurs ! Nous voilà alors contraints à subir une laborieuse et grotesque version du Malade imaginaire.

Un troisième personnage nommé Sébastien surgit bientôt sur scène. Aussi minable que minus, il est sensé jouer avec la précédente troupe et donner la réplique à Michel Sardou. Mais nous venons de vivre en direct la mort aussi pathétique qu’antihéroïque du dernier chanteur de droite ! La troupe éradiquée, Sébastien est lui aussi embarqué dans cette prise d’otage. A la fois comédien galérien et détenu des deux monstres, il est le liant entre nos tortionnaires et nous, spectateurs.

Full métal molière 2

Costumes pourris, perruques ridicules et fontaines de faux sang agrémentent à ravir ce pathétique tableau de la vie d’artiste. Qu’il est difficile de s’approprier un texte, de dompter une émotion, de comprendre une époque, de se mouvoir dans un décor… Au contraire, qu’il est porteur d’espoir et enthousiasmant de recevoir un appel pour jouer dans la plus kitch des pubs : Madrange, mon jambon star ! S'entrechoquent alors deux mondes. D’un côté, le grand, le noble, l’intemporel ; et de l’autre, le facile, le rémunérateur et bondé de clichés, de strass et de paillettes.

Le rire jaune et les moqueries que nous inspirait ce trio de loosers cèdent bientôt le pas dans nos cœurs de spectateurs-otages à une immense tendresse. Finalement atteints du syndrome de Stockholm, ça zigouille dans tous les sens et nos zygomatiques adorent ça ! Décalée, cynique et trash, cette pièce est à prendre au second degré, évidement ! 

Affiche Full métal Molière

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  • Nourritures terrestres et célestes se côtoient sous ma plume tonka. Dans ma marmite 2.0, un bouillon de culture mariant papotages, picotages, des livres et délices à savourer jusqu’à plus faim et/ou jusqu’au mot FIN.
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