Incestes en palimpseste
Il est des romans auxquels nous repensons longtemps après. Comme des amis imaginaires, ils nous suivent, nous accompagnent, nous habitent. Il est des romans dont la construction aussi sobre qu’épurée semble tomber sous le sens. Il est des romans aussi courts que des nouvelles mais dont le poids est bien plus lourd qu’il n’y paraît. Il est des romans à ranger dans sa bibliothèque intime. Celle de ses classiques, petites pépites qui nous construisent et exhument des ténèbres une part du monde – de notre monde.
Ces romans nous apprennent à voir et sont constitutifs de notre personne. Voici l’un d’entre eux : Grands-mères de Doris Lessing.
Roz et Lil ont grandi côte à côte. Jumelles de cœur, de parcours, de destiné. C’est dans un décor baigné de soleil que s’écoule leur vie. Elles se marient et mettent au jour la même année deux petits anges, Tom et Ian. Bientôt débarrassées de leur mari – l’un décède, l’autre part –, Roz et Lil voient grandir leurs fils et devenir aussi beaux que des statues grecques. Roz vit avec Tom dans une grande maison ouverte aux quatre vents en face de celle de leurs amis Lil et Ian.
Mais, dans ce récit, l’idyllique le dispute peu à peu au diabolique. La lumière qui inonde les destins se voile bientôt, laissant pudiquement entrevoir les corps qui s’embrasent.
Roz console Ian de la perte de son père. Lil et Tom se retrouvent dans la pénombre de la chambre à coucher. Une ombre portée se forme sur le rayonnant bonheur de cette famille recomposée. L’inceste tacite s’immisce lentement dans les interstices de ces amitiés maternelles et maternantes. L’art de la suggestion dessine un troublant clair-obscur. L’union des corps n’est pas filiale mais tellement immorale. Ces relations croisées sondent l’abîme de nos pensées les plus intimes avant d’être rattrapées par le temps. Roz et Lil pourront-elles in fine exercer leur rôle de grands-mères ?
Brillant !
Les images sont extraites du film d’Anne Fontaine inspiré de l’œuvre. J’ai désormais hâte de le voir…