Avant, je n’aimais pas le cirque. Mais ça, c’était avant !
Avant, je n’aimais pas le cirque à cause des CE et de la télé. Ce type de spectacles rimait alors avec grand-messe de noël en carton-pâte d’où fusaient des rires d’enfants sur commande ou avec Patrick Sébastien animant des samedis soir malheureux. Avant, je n’aimais pas le cirque à cause de ses codes et conventions sassés et ressassés. Un genre artistique non poétique, sclérosé et dénué d’humanité et d’inventivité. Avant, je n’aimais pas le cirque à cause du dressage des animaux et des hommes. Exhibition sans émotion d’une faune rendue aphone et d’humains changés en chiens dans l'arène d’une foire où le démonstrateur s’appelle ironiquement Loyal. Malgré ces préjugés, une invitation à l’avant-première du spectacle Eclat et une curiosité toujours en alerte ont guidé mes pas au Cirque Bouglione, autrement dit Cirque d’Hiver.
C’est d’abord un lieu surprenant qui nous accueille et cueille notre bonne humeur. Le Prince Louis-Napoléon l’inaugura en 1852. Difficile d’imaginer un tel endroit en plein cœur de Paris pour la provinciale que je suis. Mais au détour d’une rue, le voici qui se dresse, immuable et gracieux, ce grand chapiteau de pierre claire. Décidément, Paris n’a pas fini de nous étonner ! Inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et surmontée de hauts-reliefs, de frises et de statues, la façade du Cirque d’Hiver donne envie de pousser la porte.
Une fois entré, on est bluffé par l’immensité et la beauté des lieux. Le poids du passé est tout de suite prégnant. Acquis par les Bouglione en 1934, ce cirque a servi de décor à de nombreux spectacles mais aussi à l’émission mythique « La Piste aux étoiles ». L’histoire de cette famille est indissociable de celle des arts circassiens et du fantasme qui stimule le plaisir des spectateurs. Ces Roms pakistanais montreurs d’ours en Italie au XVIIIe siècle n’ont rien de banal et la légende continue de faire mouche sur scène avec la présence de plusieurs représentants de cette illustre lignée.
Pendant deux heures trente, une spectaculaire machinerie fait rouler ses mécaniques sous nos yeux intrigués. Le personnel est abondant en salle comme en coulisses, les tableaux s’enchaînent avec une facilité déconcertante : cerceau, dressage de fauves, de chevaux, de chiens, jongle, trapèze, acrobatie, pole-dance, tir à l’arbalète et lancer de couteaux, sangles, voltige, magie (par les Bouglione en culottes courtes), danseuses, clowns. Les artistes ne manquent pas de panache et, contre toute attente, on ne s’ennuie pas !
Ce dispositif bien huilé agrémenté de magnifiques jeux de lumière et d’un orchestre de douze musiciens fonctionne parfaitement. Le décor carmin et or est sublimé par différentes ambiances lumineuses au fil des numéros. La partition fait alterner morceaux traditionnels et reprises de tubes contemporains (Véronique Sanson, Michael Jackson, Gotan Projet, etc.). Je me suis même surprise en train de danser ! Le moment est festif et chaleureux.
Toutefois, quelques détails altèrent cet enthousiasme.
Monsieur Loyal met souvent l’accent sur la volonté des Bouglione de revisiter le genre. Mais, en vérité, ce cirque a du mal à se réinventer. Les numéros sont attendus et on a l’impression de les avoir déjà vus mille fois sans pourtant être familiers des chapiteaux. Le genre demeure enfermé dans ses codes et, malgré quelques timides tentatives — comme un numéro mariant trapèze et tango ou une démonstration hydrique de claquettes et de jongle —, rien ne nous étonne vraiment.
D’autre part, la seule émotion sollicitée est l’admiration. Ohhh ! c’est beau !!! Ohhh ! c’est impressionnant !!! Ahhh ! il n’a pas tué sa femme avec ses couteaux !!! Dans une société où nous sommes bombardés d’images spectaculaires, comme celles d’un homme sautant en parachute depuis l’espace, peu de choses sont encore susceptibles de pimenter notre quotidien d’adulte. Ce qui fonctionnait il y a 50 ans ne peut avoir le même impact aujourd’hui. Les voies de la poésie, de la suggestion ou de l’illusion me semblent désormais plus pertinentes dans l’enceinte d’un cirque.
Cette quête d’admiration se développe chez les artistes dans une course à la perfection. Et lorsque tout est impeccable, nous sommes proches du bâillement. Les corps se tordent dans tous les sens, les numéros s’exécutent à merveille, les animaux obéissent aux doigts et à l’œil… Il n’y a pas de place pour le fragile, le timide ou le boiteux. Heureusement, il y a des erreurs et, lorsque les artistes chutent avant de retenter une pirouette, nous vibrons enfin ! Ces acrobates, voltigeurs, jongleurs ne sont donc pas des machines, ouf ! Les clowns, eux aussi, redonnent un peu d’humanité à l’ensemble par leurs vices et leur gaucherie.
Enfin, une question me turlupine : pourquoi les femmes sont-elles si souvent reléguées au rang de potiches à paillettes ? Celle qui se fait tirer dessus à l’arbalète arbore, en lieu et place d’un pantalon, une simple culotte. Une jolie culotte, certes, mais son tireur de mari est quant à lui vêtu d’un pantalon des plus sobres. En outre, les danseuses n’ont pas de numéros à proprement dit. Elles assurent simplement des transitions sexy entre les passages sur scène des autres artistes. Je ne veux pas jouer les chiennes de garde enragées et ne crache pas sur l’idée de faire entrer le cabaret et un peu de sensualité sous le chapiteau, mais moi aussi j’aime bien les hommes en dessous et là… je reste sur ma faim !
Malgré ses difficultés à se moderniser, son besoin viscéral de nous épater, sa quête de perfection un peu chiante et ses frêles élans de misogynie, le cirque est tout de même extraordinaire. Le beau spectacle qu’il nous offre, la générosité qui en émane et le fantasme qui se dégage de son histoire nous font passer un excellent moment. Avant, je n’aimais pas le cirque. Mais ça, c’était avant. Je me suis Eclatée et j’y retournerai !